Publié en 1914

Maria Chapdelaine par Louis Hémon         DANS le Québec, à la fin du XIXème siècle, une famille, les Chapdelaine est installée depuis quelques années déjà à l’écart de toute la population, vers Péribonka, près de la rivière. Une immense et dense forêt entoure leur maison de planches et leur quotidien est celui des premiers colons : travail de la terre, été comme hiver, le regard toujours porté sur la météo et sur la santé de la famille. C’est au sein de cette famille que l’histoire prend forme. Confrontée aux rudes et longs hivers et aux courts étés, Maria Chapdelaine, l’aînée de la famille prend conscience qu’il est temps pour elle de trouver un mari.
        Seulement, là où ses parents habitent, la situation est au point mort : peu de visites, isolement total, travail rude et long quotidien. Les seules fois où les Chapdelaine sortent en ville à Péribonka, c’est pour la messe de minuit à l’église où toute la famille revoit les vieilles connaissances et recueille les nouvelles des contrées lointaines. Mais plusieurs hommes perdus dans la forêt rendent régulièrement visite à Maria Chapelaine, tels que François Paradis, Lorenzo Surprenant, Eutrope Gagnon. Le temps passe et Maria Chapdelaine développe un certain faible pour François Paradis. Déjà elle se projette un avenir réconfortant. Il faut dire aussi que François Paradis lui promet d’aller vivre en ville. Maria envisage ainsi un moyen de sortir de ce profond isolement et de sa solitude. Mais François Paradis, un jour d’hiver et donc de grand froid, décide de s’en aller de son travail en ville pour aller rejoindre Maria pour le nouvel an mais en s’en allant seul dans la forêt alors qu’une tempête fait rage, il s’est « écarté », ce qui signifie qu’il est fatalement mort de froid. Maria ne s’en remet pas, et prie de nombreuses fois, François Paradis lui avait fait la promesse de revenir au printemps pour une vie à deux.
        Encore une fois le destin de Maria est froissé. L’été arrive et toute la maison se remet au rythme infernal qu’impose la courte saison. Les champs et l’élevage des bêtes constituent l’essentiel de leur travail. Mais Maria n’arrive pas à s’en remettre. Ce sont ses parents, aidés du prêtre, qui lui demanderont avec insistance de tourner la page. Maria alors n’a plus que deux prétendants. Lorenzo lui promet d’aller vivre en ville, aux « Etats » (comprenez « Etats-Unis d’Amérique » comme le disent les paysans), vivre tranquillement et faire les magasins, là où des « chars » (comprenez « tramways ») traversent la ville de toutes parts. Cela fait rêver Maria dans cette vie de labeur triste et désolante. Mais bientôt, c’est sa mère qui, atteinte d’une étrange maladie qui la cloue au lit, meurt, après avoir été diagnostiquée par deux médecins et un guérisseur : son mal est inconnu et provoque de violentes douleurs dans tout le corps. Ce terrible coup finit par faire envoler tous les espoirs de Maria. Aux côtés de la défunte, Samuel Chapdelaine, son père, lui raconte leur longue et simple vie, ils ont acheté un terrain, l’ont fait fructifier et l’ont vendu, lassés du lieu dans lequel leur vie végétait et évoluait pour trouver un autre endroit où s’installer. La maison où Maria a vécu toute sa vie était leur troisième modeste demeure, loin de toute civilisation, à deux heures de route de Péribonka, bien au Nord. L’histoire de cette vie faite de travail et de sueur constants influencera beaucoup Maria, balayant ses illusions d’une vie meilleure.
        La difficulté du quotidien et l’hiver qui dure contraignent Maria à repousser ses projets d’avenir et puis, Lorenzo n’y tient plus. C’est alors à Eutrope Gagnon, colon canadien-français, que Maria promet de se lier pour vivre à deux, mais celui-ci doit encore attendre, Maria est maintenant devenue la femme de la maison et tout le travail que faisait sa mère lui revient à présent et enfin, ses petits frères et sa petite sœur Alma-Rose comptent sur elle.
       Ce livre sous-titré « Récit du Canada-Français », n’est pas, comme on pourrait le penser, d’un auteur québécois mais bien français. Louis Hémon est né en France et c’est au cours d’un séjour de plusieurs mois au Québec qu’il écrit son livre. Ce dernier est d’ailleurs reconnu pour être un des meilleurs pastiches du régionalisme québécois. Il est caractérisé par de très nombreux québéquismes (« Bâtèche », « icitte »), des situations et des valeurs très traditionnelles qui se partagent entre trois grandes valeurs : la famille, la religion et la travail de la terre. Si bien qu’il est aussi surnommé « Le roman de la terre ».
        L’auteur, mort en 1913, n’a d’ailleurs jamais connu la célébrité de son roman. Une première fois publié dans Le Temps entre le 27 Janvier et 23 Février 1914, il n’attire pas l’attention. Ce n’est qu’en 1921 que Grasset le fait connaître au grand public en lançant une réédition de l’ouvrage. Au final, il existe aujourd’hui plus de 250 éditions de Maria Chapdelaine, traduit en plusieurs langues et beaucoup illustré.
        Le roman devient donc un mythe littéraire et sera utilisé par l’église catholique pour les valeurs traditionnelles et conservatrices qui y sont représentées. Il deviendra donc pour les québécois le symbole de leur indépendantisme national face au Canada-anglais et pour les français, l’illustration de la vieille France. Il reste le roman le plus célèbre du Québec. Un comté du Québec, au nord du Lac-Saint-Jean, est d’ailleurs nommé le « MRC Maria Chapdelaine » en l’honneur du roman. Il est aussi grand que la Suisse.

Louis Hémon, l'auteur.

        J’AI beaucoup apprécié le roman qui m’a fait tout de suite penser à Germinal par le travail de la sueur et aussi à La Terre de Zola.
        Mais surtout, ce que ce livre m’a apporté, c’est une vision historique du Québec que je ne connaissais pas : celle du travail du paysan, des difficultés du temps et surtout de la nécessité de survivre dans ce milieu hostile et ce, toute l’année.
        La trame sentimentale est d’ailleurs une des moins hyperboliques que je puisse connaître, les sentiments des personnages sont très avares et discrets, il est impossible de citer des passages absolument passionnés. L’amour est pudique et de ce point de vue, très traditionnel. On explique même que la mère de Maria a attendu trois ans que son père la courtise pour qu’elle accepte enfin de vivre avec lui. Cela ancre le roman dans les valeurs très conservatrices.
        L’aspect spirituel est aussi largement représenté, on a souvent affaire aux songes de Maria, à ses illusions, le tout teinté de prières. Mais surtout ce qui frappe c’est le phrasé des personnages qui m’a paru lent et surtout très archaïque parce québécois. Des tournures de phrases sont d’ailleurs très caractéristiques et nous transportent dans ce Québec traditionnel. Aussi, il y a toute une géographie qui se développe : Saint-Gédéon, la rivière Croche, Ouatchouan, Roberval, Saint-Prime, Saint-Michel de Mistassini, Saint-Henri-de-Taillon, Honfleur, Péribonka, etc.
       Maria Chapdelaine fut pour moi un très bon livre et surtout un roman qui sort de l’ordinaire.

Mis à jour le 30/06/2013.

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