Publié en 1924

Sarn par Mary Webb.         PRUDENCE Sarn (abrégé en Prue Sarn) fait le récit de sa vie de famille, enfermée dans la campagne anglaise, au début du XIXème siècle. Animée par les rares foires de Lullingford, la famille vit de l’agriculture et de l’élevage.
        Le frère de Prue, Gédéon, est son plus fidèle ami. Leur père est très sévère  tandis que leur mère est douce et aimante, mais dominée par l’autorité paternelle.
        Chez les Sarn, la religion occupe une place très importante et, chaque jour, le père Sarn demande à Prue et Gédéon ce qu’ils ont retenu du prêche du jour, proféré par le pasteur de la paroisse. Si les réponses sont erronnées, le père Sarn leur donne des coups de bâton. Mais ce dernier méprise surtout Prue qui, dès la naissance, est atteinte d’une malheureuse déformation : un bec de lièvre. Dans cette campagne empreinte de superstitions et de traditions, Prue est considérée comme la création du diable, venue rompre le calme et semer le désordre. Elle sera parfois même qualifiée de sorcière.
        Prue évolue dans une nature omniprésente qui fait partie intimement du quotidien. Le domaine des Sarn est large de plusieurs hectares de terres et un étang trône au centre du domaine.
        C’est alors que le père Sarn meurt et ainsi Gédéon devient le maître des lieux en traînant derrière lui de très grandes ambitions : devenir riche paysan pour ensuite vendre le domaine familial et enfin s’installer en ville, à Lullingford où il a déjà repéré une maison. La vie rurale est dure à assurer et le désir d’un avenir meilleur est plus fort que tout. Pendant deux années Gédéon travaillera sa terre sans relâche avec une obstination féroce.

        LES intrigues amoureuses sont aussi essentielles dans le livre. Gédéon est amoureux de Jancis Beguildy depuis sa plus tendre enfance : c’est la fille d’un sorcier haï par la population. Seulement, le sorcier destine sa fille à un riche homme, un riche héritier qui viendra l’épouser et ainsi le mettre à l’abri pécuniairement. Mais la passion est bien trop forte pour séparer les deux amoureux qui doivent se voir en cachette. L’amertume que ressent le père Beguildy envers la famille Sarn (et plus particulièrement au père Sarn) est très virulente depuis une risible affaire d’argent. Mais l'amour caché de Gédéon et Jancis est gardé secret par la mère Beguildy qui surveille son mari. Un malheureux jour, Beguildy surprend sa fille au lit avec Gédéon dans sa propre maison. Jancis est alors envoyée en pension dans une famille pour devenir femme de chambre. Gédéon reprend alors, non sans tristesse, sa vie de célibataire, regrettant amèrement Jancis qui doit revenir normalement dans un an.

        C’est à Lullingford que Prue tombe amoureuse d’un certain Mr Woodseaves, un jeune tisserand, autonome, de fort caractère et champion de lutte après avoir gagné de nombreuses compétitions. Il gagne bien sa vie et fait preuve d’une étonnante intelligence et ouverture d’esprit. Il sait lire et écrire.
        Les combats canins, traditionnellement organisés entre éleveurs, permettent de comparer leurs chiens. Woodseaves déteste ces combats et décide lors d’une foire à Lullingford de faire arrêter, de force, le concours. Les organisateurs, ne souhaitant pas se battre avec lui acceptent mais à la condition que Woodseaves se batte contre les chiens à mains nues.Woodseaves se rend alors sur l'aire de combat mais après avoir mis hors-jeu plusieurs chiens, le dernier chien lui résiste et manque de le mordre au cou. Prue qui assiste au spectacle, fortement amoureuse, se précipite et le sauve en tuant le chien d’un coup de couteau puis enfin prend la fuite. Prue, honteuse de sa malformation, ne veut absolument pas se faire voir, ni même exprimer son amour pour Mr. Woodseaves. Ce qui la terrifie le plus, c’est de se faire rejeter par celui qu’elle aime. Son bec de lièvre gâche sa vie, d’autant que les gens lui font remarquer à multiple reprises sa différence.

 PRUE apprend à lire et à écrire, soigne sa mère dont la vieillesse la rend maladive, s’occupe des tâches de maison et enfin aide du mieux qu’elle peut son frère au champ et aux bêtes.
        Bientôt le blé pousse et sa couleur blonde indique qu’il est prêt pour la récolte. Gédéon organise alors une récolte en se faisant aider par les autres cultivateurs de la région à qui il donne une fête et un grand repas en plein air (c’est l’été).
        Seulement, Beguildy n’a pas dit son dernier mot et quand il apprend que sa fille Jancis s’est enfuie en abandonnant son poste de femme de chambre pour se réfugier chez Gédéon, cela le rend fou et il décide, par méchanceté ou désir de revanche de brûler toute la récolte. Récolte qui devait donner beaucoup d’argent depuis les récentes augmentations du prix du blé et les subventions.
        Le soir même de la récolte, alors que les flammes rongent le blé et l'avoine, tous les espoirs de Gédéon sont réduits en fumée. Beguildy est envoyé en prison avant un très probable jugement tandis que Jancis et sa mère sont contraintes de quitter la région.
        Et le chagrin d’amour continue, séparant à nouveau les deux futurs époux. Jancis en meurt. Et Gédéon, de nature insensible et dure comme son feu père, ne pouvant pleurer et encore en colère contre Jancis et sa famille pour avoir brisé ses rêves, préfère se noyer dans l’étang du domaine des Sarn.
        La mère Sarn décède aussi. Prue demeure ainsin la seule survivante de cette tragédie économico-sentimentale. C’est alors que Prue, toujours aussi mal vue par les autres cultivateurs de la région, est accusée d’être la responsable de cette série de malheurs. Elle se fait lyncher par le peuple pour ensuite être lapidée, mais cette fois-ci, c’est Mr Woodseaves (homme connu et maintenant respecté du pays depuis l’affaire du combat de chiens) qui vient, en preu chevalier, la sauver de la haine et de l’obscurantisme ambiant, l’emportant sur son cheval et l’embrassant tendrement sur la bouche.

ET c’est ainsi que Prudence Sarn fut enfin heureuse.

La couverture de "Precious Bane" dans une édition anglaise (originale).

ECRIT par Mary Webb (1881-1927), une génie méconnue en Angleterre, Precious Bane est son cinquième roman. Il est publié en 1924 et traduit en français par Jacques de Lacretelle sous le nom de Sarn en 1930. Le traducteur fait alors connaître en France cet écrivain méconnu. L’œuvre a été écrite à Hampstead, faubourg de Londres. Le livre est récompensé du Prix Femina - Vie Heureuse en 1926. Mary Webb meurt l’année après. Ce n’est qu’en 1928 que le premier ministre britannique de l’époque, Stanley Baldwin fait connaître le roman en le préfaçant et en déclarant que c’est l’un des plus grand roman anglais du siècle.
        C’est un roman de la terre et de la nature par excellence, ancré dans une campagne archaïque, dans ses traditions ancestrales, où la religion et la famille sont les valeurs principales d'une existence heureuse et épanouie. C’est aussi le roman de la solitude, du calme et de la contemplation et en même temps de la vie, du travail et des relations humaines. C’est un livre comme brodé, de manière que tous les fils s’organisent parfaitement pour former une très jolie dentelle. Il y a une rusticité frappante qui fait retourner l’homme aux bases de la vie.
        Grâce à la biographie de Mary Webb, on retrouve l’origine de l’infirmité de Prue Sarn (bec de lièvre) puisque l'auteure souffrait d’un goitre (gonflement de la thyroïde).

C'EST dans un vide grenier que j’ai acheté un lot de livres et c’est dans celui-ci que j’ai trouvé Sarn de Mary Webb. La couverture a attiré mon regard : une ferme enfoncée dans la campagne, esseulée, visiblement construite en bordure d’un étang... Puis j’ai effectué quelques recherches sur l’auteur ce qui m’a poussé à lire le livre.
        Je me suis très vite attaché au personnage de Prue Sarn et à son récit comme sorti d’un autre temps. J’ai été littéralement emporté par la beauté des magnifiques descriptions de la campagne anglaise, de cette nature intacte, omniprésente et sauvage. Ce sont des descriptions chargées d’une force poétique et d’une mélancolie à couper le souffle.
        Les histoires d’amour qui mènent le récit plongent le lecteur dans les longs questionnements de Prue concernant sa vie en général et les sentiments qu’elle éprouve. C’est donc essentiellement un roman de la lenteur et de l’évolution de la pensée et donc de la remise en question.
        Le livre se révèle être une précieuse photographie du  début du XIXème siècle : on y retrouve les thèmes de la religion, de la superstition, des légendes, de l’analphabétisme, de l’obscurantisme, des préjugés, de la tradition, de la famille et du travail de la terre et des bêtes. Ce sont des hommes isolés du monde qui les entoure et qui vivent comme ont vécu leurs ancêtres. Un roman donc comme arrêté qui laisse le temps au lecteur d’imaginer les lieux et ainsi le laisse vivre et ressentir le texte, comme quelque chose d’authentique et de précieux.

Mis à jour le 17/09/2013.

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