Publié en 2010

Sukkwann Island par David Vann         L’HISTOIRE est bien simple, un père et son fils se rendent sur une île déserte, où est seulement construite une petite cabane en bois, pour y vivre pendant un an, coupés du monde et en se débrouillant seuls. Cette aventure tend au départ à resserrer les liens entre les deux personnages jusqu’à ce que tout bascule.
        C’est sur cette petite île d’Alaska que se met en place un nouveau quotidien. Pendant l’été, ils construisent un fumoir à viande, pêchent et commencent à stocker de la nourriture et du bois mort pour se préparer à l’hiver.
        Un jour, un ours vient saccager toutes leurs vivres et leur modeste foyer, c’est à partir de là que le rêve se transforme petit à petit en cauchemar.
        Roy, le fils sent peu à peu un malaise. Chaque soir, son père sanglote doucement dans son lit, il répète inlassablement la même histoire à son fils. On apprend alors qu’il regrette sa séparation avec sa seconde femme, Rhoda. Mais le jour, le père est joyeux tandis que son fils le supporte la nuit.
        L’été passe et les deux hommes, bien que proches sur cette île ne le sont pas autant que l’on puisse le penser. Jim, le père, se révèle égoïste finit par ne plus penser qu’à ses problèmes de cœur. Et son fils supporte ses plaintes nocturnes.
        La pêche, les promenades et le bricolage amateur constituent l’essentiel de leur quotidien qui peu à peu devient monotone. A 13 ans, Roy pense à ses amis et aux filles, à sa famille et à sa maison. Pourquoi est-il là ? Que fait-il avec son père ? Il a envie de rentrer mais renonce à son vœu pour son père…
        Une radio est à leur disposition pour contacter n’importe qui en cas d’urgence. L’hiver revêt son manteau neigeux et le froid reprend la forêt. Jim et Roy s’enferment dans la maison et commencent à vivre tranquillement, presque en ermites, ne mettant plus le nez dehors. Ils lisent et jouent aux cartes pour tuer le temps. Chaque nuit son père sanglote un peu plus, avec un peu moins de pudeur.
        Roy ne le comprend pas et son envie de rentrer devient de plus en plus forte. Jim finit par contacter Rhoda le plus souvent possible pour lui parler de leur relation. Elle lui avoue qu’elle voit un homme. Cela rend fou Jim. Les jours qui suivent sont passés avec l’hésitation quasi-constante de choisir la vie ou la mort.
        Roy, un jour découvre son père prêt à se donner la mort avec un Magnum 44, puis renonce et donne l’arme à son fils, sans arrière-pensée.
        Ce que Jim n’a pu faire, Roy, lui, le fait. Jim a entendu le coup de feu, mais pense que c’est pour attirer l’attention, puisqu’il vient de sortir se changer les idées.
        A son retour, c’est l’incompréhension qui le prend. Son fils git au sol dans une description dégoûtante. Pourquoi a-t-il fait ça ? Quel était son but ?
        Jim alors cherche désespérément de l’aide, il tente de prévenir quelqu’un, mais il a cassé sa radio de rage en voyant le cadavre de son fils. Rien ne va plus. Il emballe son fils dans son sac de couchage, gonfle son bateau et démarre le moteur pour chercher de l’aide sur une île.
        Il échoue, à court d’essence, sur une île. Mais elle est déserte. Il y trouve une nouvelle cabane où il entre par effraction pour se procurer à manger.
        Pendant des mois il tente de survivre et de prévenir quelqu’un. Sans succès jusqu’au jour où il décide de brûler la forêt pour se faire remarquer. Cela réussit. En état d’arrestation, il veut tout faire pour se sortir de là. Il explique et réexplique sans cesse son histoire. Roy n’est pas mort par sa faute, c’est lui qui s’est tué. Mais les autorités ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, Jim a tué son fils. C’est tout. Mais Jim n’a rien à avouer, c’est la stricte vérité, il admet qu’il lui a donné l’arme mais n’a jamais pensé que cela pouvait pousser à se tuer.
        Jim est relâché en liberté conditionnelle, mais il s’échappe et décide de vider son compte en banque et de proposer à deux matelots de l’emmener, avec leur embarcation, au Mexique, moyennant vingt mille dollars. Les deux matelots, en pleine mer, jettent Jim hors de l’embarcation parce qu’il leur a demandé à rentrer sur la côte pour se faire juger, ayant décidé que la fuite ne pourrait rien à ranger à son destin.

        C’EST le genre de roman psychodramatique qui me laisse toujours assez perplexe. Au début l’aventure semble intéressante, je pensais que l’on allait découvrir plus en profondeur un quotidien qui affronte l’hostilité du climat et du lieu dans lequel les deux personnages évoluent. Mais un bon roman, dans les conventions, doit absolument avoir un point de non-retour, un désagrément qui donne envie au lecteur de continuer l’histoire.
        Le saccage de la maison par l’ours me paraissait bien, mais ce n’était pas la première intention de l’auteur. Le narrateur cherche à nous démontrer la complexité des sentiments humains. C’est un père complètement instable, presque parfois aussi faible que son propre fils. On a presque l’impression que les rôles sont inversés : le fils nous parait impassible et difficilement impressionnable devant des situations dures et difficiles, tandis que le père, malgré son apparente joyeuseté, se laisse emporter par les sanglots durant plusieurs nuits, chute lourdement alors qu’il se promenait le bord d’une falaise de pierre. Roy arrange toujours les velléités et puérilités de son père, homme qui a complètement perdu la maîtrise de lui-même.
        La mort du jeune homme m’a paru un peu excessive et dénuée de sens. Elle arrive là, sans que l’on s’y attende vraiment. C’est peut-être là aussi le point d’orgue de l’histoire, la petite perle qui fait de ce roman une œuvre remarquable.
        J’ai trouvé que le narrateur était d’une neutralité déconcertante, même après la mort de Jim, on peut s’attendre à ce que le narrateur soit pris de pitié par la scène ou alors laisse transparaître une part de lui-même. Mais la narration reste égale à tout le reste du livre et ne nous dévoile rien. Même le père ne comprend pas au début et semble comme sonné à la vue du cadavre de son fils. Pour lui, c’est incompréhensible, cela est juste un rêve dans lequel il est enfermé, appelons-le alors un cauchemar. Mais il est bien réel.
        La première partie a ça de génial. C’est une gradation de petites problématiques qui débouchent sur une réelle problématique : comment et pourquoi l’enfant s’est-il tué ? La deuxième partie traîne un peu en longueur mais nous fait découvrir le retour de l’homme à un semblant de civilisation et surtout à sa solitude. Pour lui, Roy n’est pas complètement mort, si bien qu’il lui parle à haute voix, cela le rassure.
        En ouvrant le livre, je ne m’attendais franchement à ce genre de thèmes, mais c’est la part psychologique qui l’emporte sur l’aventure humaine ou bien... est-ce les deux mêlés ?

Mis à jour le 22/05/2013.

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